Mais les parangons fidèles de la capitulation méritent-ils de s'approprier Mendès ?

Publié le par Fedida Maklouf

 

 

mendes.jpg Je n'ai jamais prêté une attention très soutenue à Pierre Mendès France. C'était pour moi, certes, l'homme de la décolonisation, mais vite écarté, sans trop combattre. C'était le dirigeant de gauche dont le bilan social se résumait à un verre de lait chaque jour pour les enfants ... vision somme toute limitée de la transformation sociale. C'était celui qui avait échoué à porter la gauche a pouvoir, fort heureusement supplanté par Mitterrand. Un homme respectable, mais naïf et un peu tendre. Englué dans le parlementarisme de la IVème République. Incapable de relever le gant face à De Gaulle, bien qu'ayant mille fois raisons sur la nature de la nouvelle République de 1958.

 

Et puis surtout, la plupart de ceux que j'ai vus se réclamer de Mendès (il en est de même avec Albert Camus) étaient des capitulards. Mendès était la bannière de tous ceux qui prônèrent le "consensus", le renoncement (il a été supplanté par Delors ensuite). Bref l'icône du Nouvel Obs, cet hebdo moraliste et prétentieux (du vieux Jean Daniel au jeune Claude Askolovitch) dont la vraie nature tient dans les pages "immobilier" (même Jacques Julliard en a eu assez). La deuxième gauche sans sa montre LIP, bref sans l'autogestion. Donc à nu, et finalement libérale. Son bilan ? Le tournant de 1983 et son cortège de chômeurs, et certes le RMI et la CSG... Ah, oui, j'oubliais qu'ils ont aussi aidé le "plan juppé" à s'appliquer, ainsi que la réforme Fillon des retraites... Avec de beaux résultats.

 

Quand j'étais étudiant en Institut d'Etudes Politiques (où j'ai d'ailleurs connu deux très sympathiques membres de la famille de PMF... une prof et une camarade) - cette machine à produire de la modération et donc du conservatisme - le modèle du "grand homme" qui nous était offert était bien Mendès. La femme modèle était Françoise Giroud... L'espoir déçu, Rocard...

 

Il y a eu, cependant, cette empathie étrange du mouvement de mai 68 pour PMF, venu à Charlety voir le mouvement mourir faute de débouché politique. Qui montre que Mendès a suscité l'admiration, en tout cas le respect, au delà de cercles technocratiques ou d'une gauche chrétienne inspirée par Emmanuel Mounier. Et puis il y eut le PSU, ce mouvement contradictoire, où l'on trouvait un peu de tout. Rocard y dissertait chapeauté par un portrait de Lénine...

 

Mais les parangons fidèles de la capitulation méritent-ils de s'approprier Mendès ? Non, si l'on se réfère au comportement de Pierre Mendès-France pendant la guerre. Tel qu'il se révèle dans le témoignage paru en mars 1942 aux Etats-Unis, date à laquelle on ne pouvait certes pas tricher...

 

"Liberté, liberté chérie" de Pierre Mendès France est un livre étonnant. Quand j'ai appris son existence, récemment, j'ai eu envie de le lire, car je me suis rappelé le film "le chagrin et la pitié" de Marcel Ophuls, cette oeuvre importante dans la construction de la mémoire sur cette époque, et qui relate l'occupation à Clermont Ferrand. On y voit Mendès témoigner de son emprisonnement, avec un détachement ironique, souriant, comme s'il racontait une banale péripétie de sa vie, une mésaventure... J'avais été frappé par son élégance, son humilité distanciée, et sa hauteur de vue.

 

Mendès fut héroïque et sans hésitations de bout en bout au cours de la guerre. Et il ne fut jamais animé par le moindre souci de compromis durant ces années.

 

Certes, à certains égards - et il se moque de lui-même à ce propos-, il pêche par naïveté et légalisme, en se laissant incarcérer par souci de s'expliquer publiquement, sans illusion sur la justice pétainiste. Et il attend le jugement de la cour de cassation pour s'évader...

 

Mais dès le premier jour de la débâcle, il n'hésite pas. Pilote dans l'Armée de l'Air, il veut se battre au front, lui qui est Député et ancien membre du gouvernement Blum. Il affronte sans ciller les magistrats chargés de l'habiller en traître juif, surmontant sa peur pour mener la bataille politique, et parvient à les ridiculiser. Il a un comportement admirable en prison, parvient à s'évader en échafaudant un plan minutieux et brillant. Puis avant de rallier Londres, via la Suisse, l'Espagne et Lisbonne, prend le temps de mener une enquête fouillée sur la France occupée. Il s'engage ensuite dans une unité de combat, et risque sans cesse sa vie dans des missions de bombardement.

 

On l'a dit, mais c'est vrai, Mendès c'est l'Honnêteté incarnée. Et on le vérifie à chaque page du livre. Un sens de l'honneur, de la dignité, très profondément ancré. Déjà désuet en son temps.

 

Ce livre, écrit certes correctement par un homme très intelligent, mais tout de même rapidement jeté sur le papier, est un document très riche à plusieurs titres. C'est un livre paru en mars 42, soit dans une période qui reste encore indécise. Mendès, lui, a compris, comme de Gaulle, que la défaite des nazis était programmée. Il avait aussi anticipé le succès des soviétiques.

 

C'est un document précieux sur la vie quotidienne en France en 40-41. Mendès prend beaucoup de temps à décrire longuement, avec de multiples détails, les conditions de vie, dans les villes, les campagnes, les prisons (il évoque même l'homosexualité en prison, sans préjugés et avec empathie pour les hommes qu'on sépare... rare attitude sans doute en 42). Mendès, grimé,  observe la France incognito durant sa "cavale". Et on perçoit les souffrances majeures imposées au peuple par l'occupant, avec le concours actif de la collaboration. Un texte précieux pour les historiens, les réalisateurs ou romanciers qui voudraient s'emparer de l'époque.

 

Mendès consacre de longs chapitres à  l'état d'esprit des français. Sujet qui n'a cessé et ne cessera d'animer le débat historique. Et Mendès est catégorique : les français sont largement hostiles aux allemands, à Vichy, et proches de la Résistance naissante. Y compris les milieux catholiques choyés par Pétain.

 

Difficile d'analyser les raisons de cet optimisme. Dans une post-face écrite en 1977, Mendès juge lui-même cet enthousiasme quelque peu exagéré... Ceci alors que les historiens s'accordent pour dire que l'opinion publique bascule franchement plus tard, à savoir au moment de l'instauration du Service Travail Obligatoire qui envoyait notre jeunesse en Allemagne.

 

Mais en 42, Mendès avait lui-même envie d'y croire, de galvaniser les lecteurs des Forces Françaises Libres, et sans doute de signifier aux américains, qui étaient sceptiques, que les français étaient sans ambiguités aux côtés des alliés...

 

En tout cas, il parvient, tout en étant traqué, à repérer très vite les premières formes d'expression de la Résistance, les journaux clandestins, le système de solidarité qui se noue.

 

Autre signe d'un esprit hors du commun : la perception, immédiate et lucide, de ce qui est en train de se passer pour les juifs. Mendès, par sa personnalité, y est certes sensible. Mais il décrit le processus tout à fait clairement, soulignant même le fait que Vichy a surabondé par rapport aux lois appliquées en Allemagne. S'il ne sait pas que le projet d'extérmination a commencé, il attire l'attention sur les déportations vers l'Europe de l'Est. Ceci très tôt dans la guerre, il faut le rappeler.

 

Le livre de Mendès France est aussi éclairant sur ce qu'est est un patriotisme de gauche, républicain. Un patriotisme comme une évidence : un peuple sous occupation n'est plus libre d'exercer sa souveraineté : l'unité de tous pour la liberté doit s'imposer. La Nation est un espace démocratique, qui n'existe pas sans la souveraineté populaire. D'où le ralliement immédiat de cet homme au projet de la France Libre. Tout de suite, Mendès embarque sur le "Massilia" parti de Gironde avec de nombreux politiques, militaires, fonctionnaires, pour aller continuer la lutte en Afrique du Nord. Et le livre est une analyse magistrale de ce guet-apens ignoble que fut le "Massilia", qui suffit à démontrer l'abjection des partisans de l'armistice et des pleins pouvoirs au pseudo héros de Verdun (en réalité boucher).

 

PMF fut un homme de haute stature, capable d'être implacable pour défendre ses principes, tout en gardant constamment une capacité de jugement sur les ambivalences de l'adversaire,  et ses circonstances atténuantes.

 

Rien de vil chez Mendès-France. Aucune facilité.

 

Je me souviens de ces images de la cérémonie d'investiture de mai 1981. Mendès-France est très âgé, fragile. Mitterrand parvient jusqu'à lui. Il lui serre longtemps les mains. Mendès rayonne de bonheur. Une joie sincère, désintéressée. Et je suis heureux de penser qu'alors il le fut.

Publié dans CRITIQUE LITTÉRAIRE

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